from Paris, France
“ La retraite ne doit plus être l’antichambre de la mort, mais une nouvelle étape de la vie”
Cette citation d’Ambroise Croizat (1901-1951) prend tout son sens aujourd’hui à la veille de la réforme des retraites. Pourquoi le recul du départ de l’âge à la retraite renforce t-il certaines inégalités ?
Retarder l’âge de départ à la retraite pour le financement des pensions
Le système actuel de retraite en France est un système de répartition reposant principalement sur la solidarité intergénérationnelle. C’est-à-dire que la rémunération des actifs est amputée de cotisations afin de payer la pension des retraités. Ces cotisations sont divisées entre le régime de base et le régime complémentaire, elles sont toutes les deux obligatoires. Au sein du régime de base, nous avons d’une part le régime général et d’autre part les régimes spéciaux. Le premier concerne 88% de la population française (Sécurité sociale, 2023) contrairement aux régimes spéciaux qui concernent seulement 7% de la population (ibidem). Ces derniers sont au nombre de 27 et regroupent par exemple les fonctionnaires, la SNCF, les employés et clercs de notaires ou encore les cultes.
Aujourd’hui, l’âge minimum de départ à la retraite est de 62 ans. Cela avec des exceptions pour les personnes handicapées, les carrières longues, les personnes exposées à l’amiante et celles atteintes d’une incapacité permanente d’origine professionnelle reconnue. Le gouvernement actuel souhaite repousser progressivement l’âge de départ à la retraite à 64 ans. En synthèse, l’objectif voulu ici est de travailler plus longtemps pour augmenter les cotisations versées aux caisses de retraite afin de financer les pensions. Cependant, la mise en place de cette réforme peut conduire à l’accroissement des inégalités entre les différentes sphères de la société.
“Le corps relève de l’ordre social”
Cette citation de la sociologue Nicole Maurin est adaptée à notre argument. Le travail est un indicateur de notre classe sociale et le travail n’abîme pas les corps de la même manière. Le départ à la retraite à 64 ans aura par exemple des incidences plus importantes chez un ouvrier que chez un cadre. Une enquête menée par l’INSEE entre 2000 et 2008 révèle que l’espérance de vie des ouvriers est moins élevée que celle des cadres. Un fait que relate notamment l’auteur Edouard Louis dans ses ouvrages en s’adressant à son père. “Tu appartiens à cette catégorie d’humains à qui la politique réserve une mort précoce” (E.Louis, 2018). L’auteur évoque les politiques économiques et sociales qui conduisent à la destruction des corps les plus pauvres. Issu du milieu ouvrier, il décrit comment son père s’est retrouvé handicapé avec très peu de moyens à cause de sa condition sociale d’ouvrier. L’enquête de l’INSEE citée précédemment révèle en effet que l’espérance de vie sans capacités est plus longue chez les ouvriers (INSEE, 2011). Enfin, selon Oxfam, ⅓ des plus pauvres seront déjà morts avec un âge de départ légal à 64 ans (Oxfam, 2023).
Aux inégalités de classe s’ajoute les inégalités homme-femme. En effet, aujourd’hui les femmes ont une pension de retraite (droits directs) de 41 % inférieure à celle des hommes en moyenne (D.Rived, 2022). Elles occupent des emplois plus précaires, malgré qu’elles soient plus diplômés. Elles ont également des carrières professionnelles davantage interrompues notamment en raison des grossesses et de l’éducation des enfants (ibidem). Une tendance qui diminue, mais très lentement dans le temps. Au-delà de la maternité, l’orientation des étudiantes vers les filières les moins porteuses professionnellement et les discriminations genrées contribuent à la pérennité de ces inégalités. Selon l’étude d’impact (Assemblée nationale, 2023), les femmes seront plus défavorisées que les hommes par rapport à cette réforme. Les femmes qui pouvaient être à la retraite dès 62 ans à taux plein grâce aux trimestres acquis durant leur maternité devront désormais attendre 64 ans.
Une lutte permanente
L’ordonnance du 19 octobre 1945 marque un tournant important dans la prise en charge de la vieillesse. Porté par Ambroise Croizat, ministre du travail (1945-47), le système de retraite par répartition est accompagné par une série de réformes sociales. La sécurité sociale, les comités d’entreprise ou encore la médecine du travail sont autant d’avancées sociales que nous lui devons aujourd’hui. Ces bouleversements socio-économiques s’alignent avec les politiques instaurées avant guerre qui ont été guidées par le Front populaire. L’ensemble de ces acquis ont été notamment le fruit de manifestations et grèves massives et/ou d’une restructution sociétale après guerre.
Le répertoire d’action collective des français est sensiblement le même aujourd’hui: occuper les rues et faire grève. La première journée de manifestation contre la réforme des retraites a mobilisé un million de manifestants selon la police (Le Monde, 2023). Les syndicats appellent à bloquer le pays afin que le projet de réforme n’aboutisse pas.
Des alternatives possibles
Des alternatives sont proposées par l’opposition pour le financement des retraites. La hausse des cotisations patronales est une mesure proposée par la gauche. De manière générale, l’idée de faire davantage contribuer les entreprises est discutée. Cela pourrait cependant nuire à la compétitivité de celles-ci – même si cela n’a pas été prouvé. Le Think-Tank Tera Nova suggère par exemple de mettre fin aux exonérations de cotisations. Ils affirment qu’elles “n’ont pas d’effet significatif sur l’emploi et la compétitivité” (Terra Nova, 2023). L’augmentation des cotisations salariales est également une option possible, mais elle conduirait à une baisse des salaires net. En période d’inflation, cela n’est pas privilégié. L’une des options les plus entendues reste celle de taxer les plus riches. Selon les chiffres de l’Oxfam, une taxe de 2% sur la fortune des milliardaires français – soit 24 personnes – pourrait contribuer à hauteur de 12 milliards d’euros par an à financer le déficit attendu des retraites.
En rendant l’accès à la retraite à taux plein plus difficile, les fonds de pensions privés peuvent être favorisés par les plus riches (Reclaim Finance, 2023):une alternative à la pension de retraite classique qui en plus de creuser les inégalités représente un risque pour l’environnement. En effet, selon Reclaim Finance, les principaux fonds de pension privés investissent principalement dans les énergies fossiles.
Le départ de l’âge à la retraite à 64 ans impacte davantage les catégories sociales les moins favorisées et les femmes. En travaillant plus, ils gagneront moins en termes de santé et de bien-vivre général. On peut également s’interroger sur l’avenir du travail en lui-même, au chômage technologique, à l’heure de l’intelligence artificielle et de ses progrès croissants.
Sources
CHARREL Marie, “Inégalités à la retraite : 64 ans de la vie d’une femme”, Le Monde, 2023.
CHARREL Marie, “Inégalités à la retraite : 64 ans de la vie d’une femme”, Le Monde, 2023.
INSEE, Femmes et hommes, l’égalité en question, 2022.
OXFAM, Retraites : quelles sont les autres réformes possibles ?, 2023.
Terra Nova, Une autre réforme des retraites est possible, 2023.
Reclaim France, Réforme des retraites : quel impact sur le climat ?, 2023.
VIGNAL François, “Retraite : quelles sont les autres réformes possibles ?”, Public Sénat, 2023.
Autore dell’articolo*: Sabine Hamonet. Come sempre pubblichiamo i nostri lavori per stimolare altre riflessioni, che possano portare ad integrazioni e approfondimenti.
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Nota della redazione del Think Tank Trinità dei Monti
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Editor’s Note – Think Tank Trinità dei Monti
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