La colère des Libanais face à un État en crise

di Sabine Hamonet - 1 Aprile 2021

 from Paris, France

DOI10.48256/TDM2012_00181

Depuis le 10 août 2020, le Liban demeure sans gouvernement suite à la démission du Premier ministre Hassan Diab et de son cabinet. Les explosions meurtrières du 4 août 2020 au port de Beyrouth ont été déterminantes pour le pays. La situation politique, financière, économique et sociale du Liban ne cesse de se dégrader depuis. Un contexte national difficile qui a intensifié le mouvement de contestation libanais initié le 17 octobre 2020 contre une classe politique jugée incompétente et corrompue. La corruption institutionnalisée est en effet un fléau reconnu par Hassan Diab lui-même lors de sa démission,  allant jusqu’à dire qu’on exploite le sang des Libanais.  L’un des rôles premiers de l’État est pourtant de garantir la sécurité et la liberté de tous en œuvrant pour l’intérêt général. Le contrat social entre l’État et le peuple semble ainsi rompu. 

Un gouvernement absent et corrompu 

Le 17 octobre 2019, les Libanais protestent dans les rues suite à l’annonce par le gouvernement d’une taxe sur les appels passés via  l’application WhatsApp. Plus largement, le peuple dénonce la corruption et l’incurie de la classe politique. Il se réapproprie l’espace public et initie une véritable révolte. Le 29 octobre 2019, Saad Hariri, Premier ministre de l’époque, démissionne sous la pression populaire. Il entraîne avec lui  la chute du gouvernement.  Le 19 décembre 2019, Hassan Diab est nommé Premier ministre par le président de la République Michel Aoun à l’issue d’une consultation parlementaire. Sa nomination fait suite au désistement de Mohammed Safadi, l’ex-ministre des finances, désavoué par le peuple libanais. Ce n’est que le 21 janvier 2020 que Hassan Diab forme un nouveau gouvernement qui s’effondre après les explosions du 4 août 2020 et qui demeure en transition des mois après. 

Le Liban est dans l’impasse politique et ne prend aujourd’hui aucune mesure pour enrayer l’effondrement du pays. La communauté internationale observe de près la situation et dénonce l’irresponsabilité des gouverneurs libanais. Depuis la guerre civile (1975-1990), ces derniers n’ont presque pas changé : le pouvoir est détenu par des anciens chefs de guerre et une poignée de dynasties. 

La défense de l’intérêt général par l’État est remise en cause par la Banque mondiale elle-même. Celle-ci menace de suspendre son financement de 34 millions de dollars destiné à la lutte contre  la COVID 19 au Liban. En effet, le gouvernement est soupçonné de ne pas avoir respecté la stratégie vaccinale et d’avoir vacciné en priorité la classe politique dont le Président et sa famille.  Une aide pourtant nécessaire à l’État libanais qui connaît la crise financière la plus importante de son histoire.

Une monnaie sans valeur  

Le 2 mars 2021, la livre libanaise a atteint son plus bas historique avec 10 000 livres pour 1 dollar américain sur le marché noir. Ce dernier fixe la valeur réelle alors que le taux officiel est actuellement aux alentours de 1 500 livres pour 1 dollar. L’existence d’un marché noir aux cotations multiples et au système opaque échappe totalement à la Banque Libanaise (BL). Toutefois, le système de la banque centrale libanaise a également été opaque en se barricadant derrière la loi sur le secret bancaire. Son administration est remise en cause face à la crise financière qui touche le pays depuis 2019. En effet, en mai 2020, le directeur des opérations monétaires, Mazen Hamdane, est inculpé pour “manipulation de la monnaie nationale”. Ce n’est que le 12 février 2021 que la banque centrale décide de livrer l’ensemble des documents pour procéder à un audit juricomptable exigé par la communauté internationale. 

L’effondrement du système  financier libanais est en partie expliqué par les tensions géopolitiques de la région conduisant à la diminution des capitaux étrangers. Le Liban était attractif pour ces derniers proposant jusqu’à 20% d’intérêt sur les placements en dollars (Levallois, A., 2020). En l’absence d’industries fortes et de ressources propres, la finance libanaise est très dépendante de ces capitaux (Hage Boutros, P.,  2020). La situation du Liban s’est dégradée au fil du temps avec des crises de différentes natures. Cela a conduit à une période marquée par une hyperinflation, une crise de liquidités en dollars, une forte contraction du produit intérieur brut (PIB) et des restrictions bancaires (Hage Boutros, P.,  2020). L’effondrement de la monnaie a entraîné avec elle toute une société confrontée à un appauvrissement rude et abrupt.

Une pauvreté généralisée 

La crise financière a rapidement touché les ménages libanais conduisant à une crise économique massive. En effet, les prix des produits importés ont grimpé de manière incroyable atteignant par exemple 19 000 livres – soit 10, 25 €  – pour un paquet de pâtes en mars 2021 (France Info, 2021). La famine s’installe dans le pays où 80% des produits sont importés (Bernard, M-V., 2021) obligeant la population à fouiller les poubelles. L’Organisation des Nations Unies (ONU) a révélé en août 2020 que 55% de la population libanaise vivait sous le seuil de pauvreté. De plus, nous observons la destruction de dizaines de milliers d’emplois ainsi que le gel des comptes en banque des particuliers. Face à cette situation sans précédent, Jean-Yves Le Drian,  ministre français de l’Europe et des Affaires étrangères, accuse les forces politiques libanaises de “non-assistance en pays en danger”, cela à l’heure où l’électricité elle-même devient un luxe pour le Liban face à l’épuisement des réserves en carburant (Reuters, 2021). 

Le 12 janvier 2021, la Banque mondiale a approuvé un projet de 246 millions de dollars en faveur des libanais les plus démunis (Banque mondiale, 2021). Par ce plan, elle souhaite instaurer un filet de sécurité sociale pouvant faire face aux crises actuelles et futures.  Les réfugiés syriens au Liban sont les premiers touchés par cette crise économique. En effet, il apparaît que 90% des réfugiés se trouvent en situation d’insécurité alimentaire et 94% d’entre eux sont endettés (Commission européenne, 2020).  Aujourd’hui, ils représentent 20% de la population libanaise (ibidem) et seulement 54% d’enfants de réfugiés étaient  scolarisés entre 2017 et 2018 (UNHCR, 2018). Une génération sacrifiée et oubliée qui devra pourtant reconstruire la Syrie de demain.  La fuite des cerveaux s’est par ailleurs accélérée au Liban qui peine désormais à proposer un avenir.

Une nation révoltée 

Le lien entre les autorités politiques libanaises et les Libanais est devenu conflictuel. La légitimité du gouvernement est interrogée à l’heure où les gouvernés n’ont plus confiance en leurs gouvernants et exigent un changement. L’État est faible, mais la nation est forte : le peuple libanais s’unit autour de valeurs communes et lutte pour une juste représentation. Les manifestations populaires ont fait entrer dans le  champ politique divers nouveaux acteurs : organisations de gauche, de droite, groupes estudiantins, universitaires, féministes, etc. (El Khoury, N.,  2021). Les réseaux sociaux sont importants dans le répertoire d’action collectif de ces derniers,  permettant un débat plus libre et un rassemblement plus simple.  Le Liban de demain pourrait être incarné par une génération politisée et engagée ou alors sombrer si aucun changement ne s’opère dans la sphère gouvernante. 

L’État n’est pas une identité fixe et éternelle, nous avons une lutte permanente pour assurer son monopole. Les gouverneurs libanais doivent prendre des décisions fortes et cela rapidement par des réformes structurelles et la formation d’un gouvernement d’experts pour éviter l’effondrement de l’État. 

 

Bibliographie 

André, L., 2020. « Les réfugiés syriens, grands oubliés de la crise libanaise », The Conversation

Bernard, M-V, 2021. « L’article à lire pour comprendre la crise économique et humanitaire qui ébranle le Liban », Francetvinfo.fr. 

Cornish, C., 2021. « Lebanon’s queue jumping affair threatens World Bank vaccine lifeline », Financial Times

Domat, C., 2020. « Les places de la révolte au Liban », Esprit, p.32-35.

El Khoury, N., 2021.  « Liban : chronique d’un écroulement », Politique étrangère, vol. printemps, no. 1,  pp. 191-201.

ESCWA, 2020. Poverty in Lebanon: solidarity is vital to address the impact of multiple overlapping shocks

France Info, 2021.  « Au Liban, les voix s’élèvent face à une vie trop chère », Francetvinfo.fr.  

G.Corm, 2021. Le Liban contemporain. Histoire et société. Paris, La découverte, p. 400.

Hage Boutros, P., 2020.  « La livre libanaise pas près de se redresser sur le marché noir », L’Orient le Jour

Khoury-Helou, F., 2021. «  Au Liban, à quoi sert le marché noir ? », Le commerce du Levant

L’Orient le Jour, 2020. « Le président du syndicat des changeurs libanais arrêté », L’Orient le Jour

Protection Civile et Opérations d’Aide Humanitaire Européennes, Commission européenne, 2020. Liban. 

Reuters, 2021. « Lebanon’s cash for power generation may run out at the end of March, says minister », Reuters.com

Rizk, S., 2020. « Plus d’un an après la révolte des Libanais, le système de pouvoir en place n’a pas cédé un pouce », Confluences Méditerranée, no. 115,  pp. 75-88. 

The World Bank, 2021. « US$246 Million to Support Poor and Vulnerable Lebanese Households and Build-Up the Social Safety Net Delivery System ». WorldBank.org

 

Autore dell’articolo*: Sabine Hamonet, esperta in affari europei e relazioni internazionali del think tank Trinità dei Monti. Dottoressa in Studi politici presso Nouveau Collège d’Etudes Politiques; Master di studi europei e internazionali presso Université Sorbonne Nouvelle.

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